Salvador de Bahia : quand la spéculation foncière redessine les contours sociaux du littoral
Salvador de Bahia : la ruée vers l’or bleu qui exclut les plus fragiles
Entre attractivité touristique et pression immobilière, le littoral de Salvador se métamorphose au détriment des familles locales. Un phénomène qui interroge sur l’avenir social de la « Rome noire » brésilienne.
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Un marché immobilier en surchauffe
Depuis quelques années, Salvador de Bahia, joyau culturel et historique du Brésil, connaît une fièvre immobilière sans précédent. Les prix des logements en bord de mer ont bondi de plus de 150 % en cinq ans, selon les dernières données du Sindicato da Habitação (Secovi-BA). Une envolée qui s’explique par plusieurs facteurs :
- L’attrait touristique croissant : classées parmi les plus belles plages du pays, les zones comme Barra, Ondina ou Itapuã deviennent des valeurs sûres pour les investisseurs. - Les politiques d’urbanisation : les projets d’embellissement des quartiers côtiers (promenades, hôtels de luxe) dopent la demande. - L’arrivée de capitaux étrangers : des acheteurs européens et nord-américains, séduits par le cadre idyllique et les prix (encore) inférieurs à ceux de Rio ou São Paulo, rachètent massivement des biens.
Résultat : un m² à Barra peut désormais coûter jusqu’à 10 000 réaux (soit environ 1 800 euros), un tarif inaccessible pour 80 % des Salvadorais.
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L’exode silencieux des populations locales
Derrière ces chiffres se cache une réalité plus sombre : l’expulsion progressive des familles modestes vers la périphérie. Les témoignages recueillis dans les favelas et quartiers populaires racontent la même histoire :
> « Ma famille vit ici depuis trois générations. Aujourd’hui, on nous propose 200 000 réaux pour notre maison… une fortune, mais où irons-nous ? À Cajazeiras [un quartier excentré], les loyers ont aussi explosé. » — Maria dos Santos, 54 ans, résidente de Ribeira
Les mécanismes de cette gentrification côtière sont implacables :
- La pression des promoteurs : les offres d’achat « alléchantes » (mais souvent sous-évaluées) poussent les propriétaires à vendre, parfois sous la menace de procédures d’expropriation pour « utilité publique ».
- La hausse des loyers : les bailleurs augmentent les prix pour chasser les locataires historiques et attirer une clientèle plus aisée.
- Le manque de logements sociaux : les programmes gouvernementaux peinent à suivre, laissant des milliers de familles sans solution.
Conséquence : des quartiers entiers, comme Comércio ou Santo Antônio, voient leur tissu social se déchirer. Les écoles ferment, les petits commerces disparaissent, remplacés par des airbnbs et des résidences sécurisées.
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Un modèle de développement à repenser
Face à cette crise, des voix s’élèvent pour dénoncer un développement urbain à deux vitesses. « Salvador risque de devenir une ville-musée, où les riches profitent de la vue sur la baie et les pauvres sont relégués dans des zones sans infrastructure », alerte Carlos Eduardo, urbaniste à l’Université fédérale de Bahia.
Quelques pistes pour inverser la tendance :
✅ Encadrer les prix : instaurer des zones à loyer maîtrisé (comme à Paris ou Barcelone) pour protéger les résidents historiques. ✅ Taxer les logements vacants : pénaliser les propriétaires qui laissent des biens inoccupés pour spéculer. ✅ Développer des alternatives : créer des éco-quartiers abordables en périphérie, avec des transports en commun efficaces pour limiter l’isolement. ✅ Impliquer les communautés : associer les habitants aux projets d’urbanisme via des conseils citoyens, comme le préconise l’ONU-Habitat.
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L’urgence d’agir avant l’irréversible
Si rien n’est fait, Salvador pourrait suivre le chemin d’autres villes côtières latino-américaines, comme Cartagena (Colombie) ou Valparaíso (Chili), où la gentrification a effacé des décennies de mixité sociale. « Ici, la culture afro-brésilienne est indissociable de ces quartiers. Les chasser, c’est tuer l’âme de la ville », rappelle Jorge Amado Filho, historien local.
Le temps presse : entre la copacabanaisation (transformation en destination élitiste) et la préservation de son identité, Salvador doit choisir son avenir. Un défi qui dépasse le simple enjeu immobilier pour toucher à la justice spatiale et sociale.